Dans la seule nuit du 23 au 24 juin se rendent visibles Sânziana / Drăgaica et son cortège nuptial des Sânziene, sortes de belles vestales dansantes et virevoltantes vivant dans les forêts et les grottes et liées à la végétation, en particulier aux simples et aux plantes médicinales. "Sânziene" désigne aussi les fleurs de gaillet (Galium verum ou caille-lait), jaunes comme le soleil, la lune et le solstice, connues pour assurer la fertilité, la protection du bétail et des maisons, et pour leurs vertus cicatrisantes, antispasmodiques, diurétiques, antiseptiques ou contre les affections respiratoires.
Cette fête a clairement des origines solaires, autour de la Grande Déesse néolitique, lunaire, équinoxiale et agraire puis en Dacie et Dacie romaine, souvenir de Héra / Artémis grecque, de la déesse Diana de Sarmizégétuze. Si le nom dace s'est perdu et si le nom slave est "Drăgaica", "Sânziana" d'origine latine vient donc très probablement de Sancta Diana.
Selon l'ethnologue Florin Ionuţ Filip-Neacşu: «Les Sânziene sont des divinités qui, lors du solstice d'été, descendent sur la terre et la bénissent, par la ronde qu'elles dansent. À ce moment-là, le Soleil est le plus proche de la Terre. Personne n'avait le droit de regarder la danse des Sânziene, car on courait le risque d'être aveuglé, de tomber malade, de devenir fou, bref de "perdre sa tête" comme on dit».
Par groupes de cinq à sept en habits de fêtes, les jeunes filles cueillent ces fleurs de gaillet, s'en tressent des couronnes autour de la tête et de la taille. Elles choisissent parmi elles Sânziana / Drăgaica qui, vêtue comme une mariée, porte une gerbe de blé et, prêtresses du soleil, les autres jeunes filles vêtues de blanc portent un voile fleuri. Accueillies au village par les jeunes hommes qui les arrosent, elles dansent en ronde et jettent des couronnes et des bouquets de gaillets au-dessus des toits des maisons; des étables, des ruches, des potagers et des vergers, et tiennent aussi dans leurs mains faucilles et épis de blé. Le soir, avant de s’endormir, elles en mettent sous leurs chevets afin de découvrir en rêves leurs futurs époux.
Liée au solstice, à la fertilité et à la féminité, cette fête solaire et païenne est récupérée par l'Église vers le Ve siècle pour célébrer la naissance de Jean-Baptiste. «Il faut que lui grandisse et que moi je diminue», dit l'apôtre Jean à ses disciples jaloux de voir leur maître perdre de l'importance au profit de Jésus (Jean 3, 30). Beau syncrétisme que cette naissance de Jean-Baptiste — de quelques mois l'aîné de son cousin Jésus qui recevra de lui l'eau du Jourdain et qui choisit par deux fois de s'effacer devant lui — fêtée alors que l'astre de vie ne peut que décliner selon la loi terrestre des saisons. Voilà qui mérite d'intimes méditations, moins sur le sens proprement religieux (et clérical) que sur la profondeur spontanée des assentiments populaires.
Toujours selon Filip-Neacşu: «Dans le sud du pays, dans cette même période on fait la danse des Căluşarii pour protéger les communautés roumaines de ces divinités si puissantes» qui localement sont parfois confondues avec les Iele, femmes plutôt malfaisantes, ce qui rappelle aussi que Diane / Junon, déesse de la chasse et des bois, était devenue la sainte patronne des sorcières, sœur et épouse de Lucifer. La danse des Căluşarii (latin caballus / cheval; en roumain cal, d'où la danse căluş, des hommes-chevaux donc) est strictement une danse d'hommes costumés pour la circonstance de chemises cousues de fil rouge, de chapeaux à clochettes, pompons et rubans, chaussés de bottes à éperon, armés de massues, de drapeaux et de sabres, parés de boucliers et de plantes médicinales d'abord exorcisées à l'église.
Filip-Neacşu encore: «Dans de nombreux villages roumains, on garde toujours la tradition selon laquelle les jeunes filles portent des couronnes de fleurs la nuit des Sânziene, alors que les jeunes hommes jettent des couronnes de fleurs au-dessus des toits des maisons où habitent les jeunes filles célibataires».
Dès cette nuit où commence pourtant l'été, l'année se tourne vers l'hiver: les jours raccourcissent, les fleurs perdent leurs arômes et leurs vertus, les lucioles apparaissent. La fête est également appelée "Le jour ou le coucou arrête de chanter". En effet, il ne chante que trois mois par an: précisément du 25 mars — jour de l'Annonciation et équinoxe de printemps — au 24 juin, solstice d'été et nuit de la Saint-Jean. Qu'il cesse de chanter avant ce jour précis, l'été sera sec.
Dernier approfondissement de cette fête solaire, depuis 2013 à l'initiative de la communauté La blouse roumaine sur Facebook constituée par près de deux cent mille personnes, la journée Internationale de la blouse roumaine (Ziua Universala a Iei) est célébrée dans cinquante-cinq pays et cent trente villes. Depuis 2015, sur l'initiative de Muriel Browser, maire de Washington, la capitale des États-Unis fête officiellement tous les 24 juin The Universal Day of the Romanian Blouse. — © Irma Cordemanu, 2017.