Dragobete se tient le 24 février, fête de saint Jean-Baptiste, qui rencontra le Christ pour le baptiser, donnant ainsi vie au nouvel homme. La proximité avec la Saint-Valentin (14 février) dont les usages commerciaux ont gagné le monde, a rapidement entraîné des pratiques syncrétiques et transformé Dragobete en une version locale de la fête des amoureux, surtout auprès des jeunes générations urbaines en expansion, qui ne connaissent plus, ou mal, cette tradition.
Le sens de Dragobete est pourtant très différent. Au cœur du long cycle pascal, au temps du Carnaval et avant le grand Carême, il s'agit de sceller chaque année la réconciliation entre le féminin et le masculin et d'inscrire dans l'espérance de Pâques l'autorité féminine.
Venu des pays slaves, où son nom signifie «parieur sur l'amour», Dragobete, le vigoureux fils de Baba Dochia (Grand-mère Doquia, liée à Mărțișor, la fête du 1er mars) était entremetteur, parrain des animaux et «fiancé des oiseaux». En Roumanie, «Drag» veut dire «cher» au sens affectif du terme, virilisé par le suffixe «bete/mâle».
La veille du 24 février, les jeunes filles ramassent de la neige, née du sourire des fées, sur les fraisiers des bois, écho évident de la légende de Baba Dochia, si jalouse de sa belle-fille qu'elle l'envoyait chercher des fraises des bois en février, que l'épouse de Dragobete trouvait tout de même par intervention divine.
Au matin du 24 février, les jeunes filles se lavent avec l'eau de cette neige des fées, en conservent aussi pour s'embellir et attirer l'amour tout au long de l'année. Puis elles rejoignent les garçons devant l'église, tous et toutes en habits de dimanche. Elles vont alors au bois à la recherche de perce-neige et d’autres fleurs de printemps aux pouvoirs miraculeux, en particulier des violettes pour orner les icônes et jeter des sortilèges, ce qui n'est pas sans favoriser déjà quelques rencontres plus intimes en forêt. Elles en font ensuite offrande, premier hommage sacrificiel à la renaissance de la végétation et de la vie, à cette saison où l'ours roumain — vigueur des Carpates — sort de son hibernation, où les oiseaux commencent à faire leurs nids. C'est que la période court aussi irrésistiblement vers les Rameaux, l'agneau pascal et les traditions autour des œufs.
Ensuite, garçons et filles se réunissent autour de feux au sommet des collines en surplomb du village. À midi, les jeunes filles dévalent la pente, poursuivies à la course par leurs prétendants. Les couples qui parviennent à se rejoindre s’embrassent devant tous les autres et se fiancent pour l'année, se mariant souvent dès l'automne. Mauvais présage pour qui ne fait pas sa rencontre au Dragobete, car il finirait ainsi l'année sans amour. Au moins, participer à cette fête protège déjà des maladies et surtout des fièvres.
Placée sous le signe des bouquets, de la douceur et de la sensibilité, en l'honneur aussi du saint décapité à l'origine de la vie nouvelle, cette célébration sacrificielle des premiers fruits de la terre est loin de l'érotisme commercial de notre actuelle saint-Valentin. Delia Suiogan explique:
J'aimerais faire comprendre aux jeunes gens d'aujourd'hui que ce n'est pas une fête de l'amour dans le sens profane du mot, de l'amour célébré par des cadeaux et des mariages. C'est le jour où l'on commence à chercher sa moitié, son âme sœur. En suivant l'exemple des oiseaux, l'homme commence à chercher sa moitié, son partenaire de vie.Et à «l'exemple des oiseaux», pour les plus âgés, le jour du Dragobete étant consacré aux soins portés aux volailles des basses-cours et aux oiseaux, en effet on ne tue pas d'animaux, afin de ne pas empêcher les accouplements. Ainsi, le Dragobete assure-t-il une année de fertilité, de fécondité et d'abondance.— © Irma Cordemanu, 2017.